Les transferts de fertilités, une solution à la baisse de fertilité des sols agricoles en régions tropicales ?
Étude de faisabilité d’un projet de compostage en République du Congo
I. Introduction
II. Le milieu tropical : base biophysique
III. Agriculture traditionnelle
IV. Contrer la réduction du taux de matière organique : « les transferts de fertilités »
V. Exemple de projet de transfert de fertilité : « Estimation de la biomasse mobilisable dans le cadre d’un projet de compostage en République du Congo »
-> A. Étude de gisement de biomasse
-> B. Analyse technico-économique
-> C. Conclusions et perspectives
VI. Bibliographie
V. Exemple de projet de transfert de fertilité : « Estimation de la biomasse mobilisable dans le cadre d’un projet de compostage en République du Congo »
A. Étude de gisement de biomasse
Cette étude, réalisée au sein d’une société d’exploitation forestière en République du Congo, a pour objet de juger de la faisabilité d’un projet de transfert de fertilité via la création d’une dalle de compostage au sud dans la vallée du Niari et à l’ouest de la capitale Brazzaville. |
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Une étude de gisement se conçoit de manière à calculer l’ensemble de la biomasse disponible sur un territoire. Il faut donc dans un premier temps décrire chaque système de « production de biomasse » et dans un deuxième temps calculer la production moyenne par hectare de chaque système. Enfin, une estimation de la superficie couverte par chaque système de production est nécessaire pour avoir une idée de la production globale. Une fois cette phase de quantification « globale » terminée, il convient de décrire et de définir tous les contextes techniques de mobilisation. Cette partie de l’étude doit permettre de déduire un volume de biomasse inexploitable pour des raisons techniques, sociales ou pratiques. |
1. Les trois systèmes de production de biomasse répertoriés
Le système de production de biomasse « forestière » est certainement le plus complexe à analyser. La luxuriance de la forêt d’Afrique centrale rend difficile l’identification directe de la biomasse. Dans ce projet, la biomasse choisie et à récupérer pour la fabrication de compost est celle se trouvant dans la strate forestière inférieure ; elle ne fait l’objet d'aucune attention particulière de la part de l’exploitant forestier. Dans cette strate, seules les branches inférieures à 7 cm de diamètre seront collectées .
Le système de production de biomasse « agricole » comprend l’ensemble de la biomasse constitutive de la jachère. Suite aux pratiques agricoles et surtout au temps laissé à la jachère pour se constituer, on observera le développement de deux espèces de plantes différentes. Les caractéristiques communes à ces deux plantes sont d’avoir une croissance rapide et de développer une biomasse importante (Colin Wilson, Parks & Wildlife Commission of the Northern Territory & IUCN/SSC Invasive Species Specialist Group (ISSG) ).
On retrouve autour du camp forestier des jachères constituées uniquement de Rottboellia cochinchinensis qui est une plante herbacée de la famille des Poacées et des jachères constitués d’une plante semi-ligneuse du nom de Chromolaena odorata appartenant à la famille des Astéracées. |
2. Surface disponible en fonction du système
La zone d’exploitation forestière (ou coupe 2012-2013) prévue pour l’année 2013 s’étend sur une superficie de 3 106,5 ha.
La zone agricole se trouve derrière le camp forestier et la superficie totale de toute cette zone est estimée à 615,3 ha. Après analyse du mode de culture et des calendriers culturaux traditionnels congolais, il a été mis en évidence que les cycles de cultures avaient une durée de deux ans et les cycles de jachères avaient eux aussi une durée de deux ans. La surface totale occupée par la jachère doit donc être divisée par deux, au vu des cycles de cultures et des cycles de repos seul 50 % de la surface totale est logiquement en jachère.
La quantification de l’écorce potentiellement récupérable à partir de l’usine de déroulage ne dépend pas d’un système de production se référant à un territoire. La quantification de la biomasse récupérable dépend de l’approvisionnement en grumes et en billes du parc desservant l’usine. La quantification passe donc simplement par l’analyse dans le temps des volumes entrant dans le parc à bois.
3. Estimation des niveaux de production
a) Système de production de biomasse « forestière »
Pour estimer le niveau de production du système de production de biomasse « forestière » il nous faut estimer le pourcentage de bois inférieur à 7 cm de diamètre contenu dans la biomasse aérienne totale de l’arbre (BAT).
Il existe des équations allométriques permettant d’approcher la valeur de la biomasse aérienne totale de l’arbre (BAT) par des mesures indirecte (diamètre, hauteur, masse volumique). Pour ce travail, nous avons fait appel aux équations allométriques mises en place par Chave et al. en 2005. Le modèle de Chave est le suivant:
Les coefficients « α », « β1 », « β2 » et « β3 » sont des paramètres variant avec le type de forêt auquel est appliquée l’équation (Chave et al., 2005).
Ci-dessous, le graphique n°1 reprenant l’ensemble des 43 arbres dont la biomasse aérienne totale de l’arbre (BAT) a été estimée grâce à l’équation allométrique de Chave et al. Grâce à l’équation de la courbe de régression, il est possible d’estimer la biomasse aérienne totale sur la simple mesure du diamètre.
Pour permettre l’estimation de la quantité de biomasse que représentent les branches inférieures à 7 cm de diamètre, l’idée suivie est la suivante : si on calcule la quantité de branches inférieures à 7 cm de diamètre récoltée par rapport à la biomasse aérienne totale, le pourcentage qui en découle peut être appliqué à chaque arbre se trouvant dans les mêmes conditions que celles établies par les mesures (type de forêt, strate, diamètre, etc.). Pour ce faire, après l’abattage de l’arbre, les branches du houppier ont été marquées et sectionnées lorsque le diamètre était de 7 cm, elles ont finalement été pesées à l’aide d’un peson électronique. A partir du diamètre d’un arbre et grâce à l’équation de régression du graphique n°2, on peut donc estimer directement le pourcentage de branches inférieures à 7 cm de diamètre contenu dans la BAT.
Pour déterminer la production de branches inférieures à 7 cm de diamètre par hectare, un total de 10 placettes de 10*10 m a été établi. Les données mesurées étant la circonférence à 130 cm et la circonférence à la base.
Pour estimer la BAT de chaque parcelle de 10*10m, nous avons utilisé l’équation de la courbe de régression du graphique n°1. Après le calcul de la BAT de chaque parcelle, nous avons estimé la production de branches inférieures à 7 cm de diamètre. De cette façon, le niveau de production moyen d’une placette de 100 m² (graphique n°3) a pu être établi et rapporter à l’hectare.
C’est ainsi que nous avons déterminé le niveau de production de la strate inférieure, une moyenne de 39 tonnes de biomasse par hectare de forêt.
b) Système de production de biomasse « agricole »
Pour estimer le niveau de production du système de production de biomasse « agricole », il a été décidé de créer 2 fois 5 parcelles de 100 m². L’ensemble des broussailles de Chromolaena odorata et de Rottboellia cochinchinensis se trouvant dans la placette a été pesé à l’aide d’un peson électronique.
En moyenne, la placette de 10*10 mètres de jachère à Rottboellia cochinchinensis (graphique n°4)fournit 255,4 kg de biomasse fraîche. Rapporté à l’hectare, on obtient une production de 25,54 tonnes de biomasse fraîche par hectare.
En moyenne, une placette de 10*10 mètres de jachère à Chromolaena odorata (graphique n°5)produit 140,08 kg de biomasse. Rapporté à l’hectare nous obtenons une production moyenne de 14 tonnes de biomasse fraîche par hectare.
Chromolaena odorata Rottboellia cochinchinensis
c) Système de production de biomasse de « l’usine de déroulage »
Pour quantifier le niveau de production de biomasse de « l’usine de déroulage » l’idée a été de définir un « taux d’écorce » à appliquer aux données relatives au cubage des billes entrant au déroulage. Parmi l’ensemble de billes écorcées, on retrouve principalement l’Alone (Bombax brevicuspe) et le Fromager (Ceiba pentandra), à eux deux, ils représentent la majorité des billes devant être écorcées, soit environ 95 %.
Le taux d’écorce n’a donc été calculé que pour le Fromager et pour l’Alone. Pour calculer ce taux, le diamètre total (écorce + aubier/duramen) a été mesuré à plusieurs endroits de la bille, afin d’obtenir une valeur moyenne en cas de bille méplate .
Ensuite l’épaisseur de l’écorce a elle aussi été mesurée à plusieurs endroits.
La surface totale (écorce + aubier/duramen) des billes a ensuite été calculée, et la surface de l’écorce a été rapportée à cette surface totale.
Dans le cas du Fromager (Ceiba pentandra) la moyenne de toutes les mesures renseigne un taux d’écorce d’une valeur de 8,14%. Pour l’Alone (Bombax brevicuspe), le taux d’écorce a une moyenne de 12,02% d’écorces.
Les volumes potentiellement mobilisables d’écorces varient de mois en mois (graphique n°6), mais au total, on peut raisonnablement estimer que la biomasse potentiellement mobilisable de l’usine de déroulage se situe entre 98,58 m³ et 165,96 m³ d’écorces. Pour l’écorce, la masse volumique calculée est de 300,48 kg/m³.
La production totale est de 1490,18 m³, sur l’ensemble de l’année et si on se réfère à la compilation des données de productions de l’activité de 2011, la quantité totale d’écorces potentiellement mobilisables est de 462 tonnes.
4. Biomasse totale disponible
Après avoir défini les trois systèmes de production (forêt, zone agricole et usine de déroulage), défini les surfaces sur lesquelles s’étendait chaque système et caractérisé les niveaux de production de chaque système pour le produit souhaité il est possible d’estimer la biomasse totale potentiellement mobilisable pour le projet (tableau 1).
5. Définition des critères de mobilisation
a) Système de production de biomasse « forestière »
Le choix a été fait d'orienter ce projet vers la récupération des branches de diamètre inférieure à 7 cm présentes dans la strate inférieure des massifs forestiers, avec comme premier objectif de limiter les coûts liés à son exploitation. Ce choix implique de définir des méthodes de travail simples et peu demandeuses de matériel lourd. La méthode de travail retenue consiste donc à récupérer la biomasse de manière plus ou moins manuelle, via l’utilisation de la main d’œuvre locale.
Suivant cette méthode, le débardage des branches devra se faire à la main. Afin de tenter de diminuer la pénibilité de ce travail, il est exclu de créer des chantiers de récupération trop éloignés des routes servant à l’exploitation forestière. La récupération des branches dépend donc directement des pistes de débardages et des routes créées pour l’exploitation. Suivant le type de route ou de piste forestière, la largeur de travail de part et d’autre de la route variera de 10 à 20 mètres.
L’analyse du kilométrage de ces routes primaires et secondaires pour la zone d’exploitation de l’année 2011-2012 (coupe d’une superficie de 6994,1 ha) permettra, en fonction de la largeur de travail, de calculer une superficie exploitable (tableau 2). Le rapport entre la superficie exploitable et la superficie totale permettra de calculer la biomasse disponible sur la zone d’exploitation 2012-2013 (tableau 3).
Si on applique le rapport « superficie exploitable-superficie totale » à la zone d’exploitation 2012-2013 (d’une superficie de 3106,5 ha) on peut estimer à 26,44 ha la superficie exploitable. En suivant ce raisonnement, et si on considère les niveaux de production du système forestier précédemment évalué à 39,01 tonnes de biomasse mobilisable par hectare, on peut estimer pour la zone d’exploitation 2012-2013 une production de :
En suivant les méthodes d’extraction décrites et en respectant les largeurs de travail de part et d’autres des pistes, il ne sera possible d’exploiter que 0,851% de la superficie totale. Le pourcentage de biomasse inexploitable à déduire du gisement total est donc de 99,149%.
b) Système de production de biomasse « agricole »
La biomasse issue du système agricole est potentiellement récupérable dans sa totalité, mais cela implique des accords entre la société forestière et les agriculteurs. Dans un premier temps il est donc souhaitable de ne pas compter sur cette biomasse dans le cadre du projet de compostage ; l’aspect saisonnier de la mobilisation couplé à une possible variabilité dans le « consentement à offrir » des agriculteurs rend l’approvisionnement trop aléatoire pour fonder un projet. Dans ces conditions, nous avons renoncé à sa mobilisation.
c) Système de production de biomasse de « l’usine de déroulage »
Récupérer les écorces de l’usine de déroulage comporte plusieurs avantages non négligeables sur le plan technique ; premièrement, nul besoin d’aller récupérer la biomasse en forêt, celle-ci provenant des billes exploitées à l’usine elles constituent donc un déchet pour cette dernière. Le débardage constitue le seul aspect technique ayant un impact direct sur la mobilisation des écorces de l’usine de déroulage.
Pour connaître l’impact du débardage sur la quantité d’écorce mobilisable, l’ensemble des impacts sur les billes se trouvant dans le parc à bois a été mesuré. Le pourcentage d’impact a été déduit de la quantité totale d’écorce afin de définir la biomasse mobilisable pour le projet. L’impact moyen est de 17,27 %. Pour rappel, la biomasse totale potentiellement mobilisable était de 38,51 tonnes d’écorces par mois. Si on applique à cette estimation le taux d’impact du débardage sur la quantité d’écorces, on obtient :
La quantité d’écorce qu’il est donc possible de récupérer pour le projet est de 31,86 tonnes par mois, soit 382,32 tonnes d’écorces par an. Le pourcentage à déduire du gisement total est donc de 17,27%.
6. Biomasse disponible pour le projet
Le tableau ci-dessous reprend l’ensemble des estimations de cette étude ; la biomasse totale potentiellement mobilisable est le résultat de la quantification des niveaux de production de chaque système couplé à la mesure de la superficie. L’ensemble des pourcentages à déduire du gisement total sont les résultats de la définition des différents critères de mobilisation détaillée précédemment.
Une fois la biomasse mobilisée, celle-ci sera compostée afin de servir d’engrais organique dans les champs se trouvant dans la zone de projet. Le compost doit être uniquement appliqué aux endroits spécifiques où le besoin se fait sentir (Madeleine Inckel, 2005). Dans le cas contraire, les doses à appliquer sont prohibitives. Avec un apport de 4 t/ha, il a été démontré que les rendements des cultures (test effectué sur le maïs grain) pouvaient augmenter de manière significative en région tropicale (Falinirina, 2010). On considère que la phase de compostage peut faire perdre environ 50% de son poids à la biomasse fraîche (échanges gazeux CO2, N, pertes d’eau, etc.). Au final, si la biomasse initialement compostée représentait une masse de 1413 tonnes, la quantité de compost récoltée pourrait donc approcher des 706,5 tonnes par an.